mojo rojo

l'échappée belle. l'intégrale.

· elmouatassim

C’était ma troisième participation à cet événement, l’association “Echappée Belle” organise chaque année trois courses de montagne dans le massif du Belledonne, trois formats dans une discipline que l’on appelle “Ultra Trail”. Ce sport consiste à courir / marcher une distance supérieur à celle du marathon (42 km). Du plus court “Parcours des crêtes” au plus long “L’intégral” en passant par la “Traversée nord”, tous ces parcours se font dans un environnement sauvage et majoritairement alpin qui parcourt le massif du Belledonne à travers le GR 738. Ce GR relie deux villages de deux départements différents, Vizille dans l’Isère et Aiguebelle en Savoie, à travers 145 km de sentiers et 11500 m de dénivelé positif. “L’intégrale” auquel je participais suit ce GR.

Cette année l’organisation a hésité longtemps avant de maintenir l’événement. Mais après avoir consulté les autorités locales, après avoir présenté des mesures strictes d’hygiène et de distanciation sociale et surtout avec une bonne dose de volonté et de persévérance de la part des centaines de bénévoles de l’association, l’événement a été maintenu.

20 Aout 2020

Jour 1. Je suis arrivé en fin d’après midi à Aiguebelle, un petit village de Savoie traversé par une route départementale. Je remarque que l’organisation de la course est plutôt rodée comparée à ma première participation en 2017 sur la “Traversée nord”. Un parking a été prévue pour les coureurs et les accompagnateurs, des bénévoles à l’entrée du village pour nous renseigner, des panneaux partout pour indiquer les navettes, le gymnase, le lieu de la “pasta-party”, etc.

A mon arrivée, je suis allé directement récupérer mon dossard à côté de l’office du tourisme et ensuite direction l’air de camping pour poser ma tente. J’ai fais un petit tour au village pour engloutir quelques cochonneries et je me suis dirigé vers la “pasta-party” pour encaisser plus de calories ; des pâtes bolonaises nous ont été préparé par les bénévoles. Au restaurant, j’ai mangé avec un participant suisse. Il habite Verbier et y travaille comme pâtissier dans un hôtel au village. Je lui ai fais part de ma passion pour les patisseries en général et il m’a invité à son hotel (le W) pour une dégustation la prochaine fois que je vais à Verbier pour la X-Alpine (un autre ultra trail que j’affectionne particulièrement dans la partie francophone des alpes suisses).

Après le diner, retour à la tente afin de préparer mon petit sac de trail avec le materiel obligatoire et pour accrocher le dossard à mon t-shirt. Ensuite je commençais à avoir sommeil et après quelques appels téléphonique, j’étais dans ma tente en train d’essayer de dormir, mais le stress et l’excitation montaient en moi et le sommeil s’éloignait de plus en plus. Il était 22h et j’avais toujours les yeux ouverts. Mon réveil était programmé pour 02:20 am et le fait d’y penser me stressait encore plus.

Ma tente grise sur la gauche. L’organisation nous a installé sur une pelouse de la commune.
Ma tente grise sur la gauche. L'organisation nous a installé sur une pelouse de la commune.

21 Aout 2020

Jour 2. Réveil matinal, à 02:20 am mes yeux se sont ouverts dans ma tente, j’ai mis mes affaires de trail et je suis sorti, la tête un peu dans les nuages, j’aurai très peu dormi ce soir. Je mets presque toujours les mêmes habits pour un ultra, c’est peut être mon côté superstitieux qui pense que si ça a marché une fois avec ces habits, ça ne marchera pas autrement. En tout cas, je n’ai jamais fais d’ultra sans le buff rouge. Pour moi c’est la pièce de tissu magique.

Nous avions un bus à prendre afin de rejoindre la ligne de départ à Vizille. Le bus est parti à 03 am et est arrivé relativement vite au bout d’une heure et demi. En arrivant je suis allé à l’aire de ravitaillement où il y avait des boissons chaudes et des cakes afin de partir avec plus de calories. Je me suis mis par la suite dans le gymnase afin de revoir mes affaires une dernière fois et me calmer l’esprit avant le départ. Un bénévole est ensuite venu annoncer le départ dans 15 minutes de la quatrième vague, je suis donc allé me laver le visage pour partir plus frais. En allant sur la ligne de départ, je suis passé rapidement au ravitaillement pour un dernier cake.

Le speaker était bien réveillé, il était là debout en train de nous dire à quel point l’Intégrale allait être dure et que la chaleur du jour allait faire beaucoup de dégâts. Sympa, il a mis une bonne ambiance dès le départ le monsieur. Nous sommes donc partis à 05:30 am, personnellement j’ai démarré fort, quatrième de la vague quatre. Trois vagues sont déjà parties sur les sentiers. Les départs différés de trente minutes et le nombre de coureurs limité par vague sont des mesures prises afin de limiter la propagation du virus si jamais une personne le porte. Aussi, nous devions porter le masque sur la zone de départ et les ravitaillements sur le sentier.

Masqués sur le départ. 5:30 am.
Masqués sur le départ. 5:30 am.

Nous voilà donc sur le sentier, ayant tous pour but de rallier nos tentes à Aiguebelle en moins de 54 heures. Les premiers kilomètres se font dans la ville de Vizille et ensuite le sentier part dans un chemin forestier large qui monte en lacets jusqu’à surplomber la ville de Grenoble et sa banlieue. A ce moment là, les couleurs de l’aube commencent doucement de passer vers un rose doux et quelques minutes plus tard, il y avait ce bleu éclatant qui annonce que la journée va être bien chaude. Au loin et de l’autre côté de la ville de Grenoble, les falaises de calcaire blanc éclatant dominaient le paysage. Je me sentais bien et j’étais toujours dans la vague des premiers, il y avait là un monsieur qui a participé l’année dernière et qui a dû abandonner à cause de la chaleur et des problèmes de digestion. Il était accompagné de son beau-frère qui a vomi après être parti trop vite le ventre plein. Il se sentait bien maintenant mais il disait qu’il allait ménager ses efforts. Il y avait là aussi un monsieur qui portait des sandales et des chaussettes à orteils. J’ai trouvé ça très courageux. J’ai l’habitude de courir comme ça sur route mais pour moi il est complètement non envisageable de s’engager sur les sentiers rocailleux du Belledonne avec des sandales, même si je suis un fervent défenseur de la foulée naturelle “pieds-nus”.

Arrivé au premier ravitaillement, l’Arselle, nous nous sommes dirigés vers la première partie alpine du parcours. Nous étions dans la commune de Chamrousse qui offre des panoramas très riches en lacs d’altitude et de parois verticales bien impressionnantes. Nous y avons passé trois cols, celui de l’Infernet, de la Botte et les Lessines. Ensuite nous avions une vue saisissante sur les lacs Robert. De là, les lacs s’enchainaient sur plusieurs kilomètres à une altitude supérieure à 2000 m jusqu’au refuge de la Pra. J’y ai croisé le monsieur de ce matin qui avait vomi et qui disait que son beau-frère était mal au point cette année aussi ; il aurait démarré trop vite et le soleil ne l’a pas raté. J’y ai aperçu aussi un autre monsieur qui était habillé de la tête aux pieds en Solomon, il était le premier de la troupe il y a quelques heures mais là j’avais l’impression que le soleil a eu raison de lui.

Des encouragements au col de la Botte.
Des encouragements au col de la Botte.

Autour des lacs Robert.
Autour des lacs Robert.

Autour des lacs Robert.
Autour des lacs Robert.

Après le refuge de la Pra en direction de la croix de Belledonne.
Après le refuge de la Pra en direction de la croix de Belledonne.

A partir de ce refuge et jusqu’au kilomètre 60, nous allions être complètement exposé au soleil, pas un seul arbre sur le chemin, que des cailloux et des falaises verticales imposantes. D’ici nous sommes allés à l’assaut du premier sommet de ce parcours, le plus haut aussi, la croix de Belledonne. Pour y aller nous sommes passés par deux lacs d’altitude qui s’appellent les lacs Doménon. Le sommet de Belledonne culmine à 2926 m et les derniers mètres de l’ascension se font dans de la caillasse pure. C’était une bonne dose de plaisir surtout que la vue d’en haut est imprenable sur les lacs d’altitude, les vallées, les autres sommets, etc. Nous étions plusieurs à marquer une pause afin de manger un peu de sucre ou poser avec la croix ou juste toucher la croix de Belledonne avant de repartir dans la descente. En effet, plusieurs pensent que toucher la croix d’un sommet porte bonheur.

Sur la croix de Belledonne.
Sur la croix de Belledonne.

Avec la croix de Belledonne. ‘Mettre l’amour au sommet’ est l’inscription complète.
Avec la croix de Belledonne. 'Mettre l'amour au sommet' est l'inscription complète.

Ensuite direction le lac Blanc et le refuge Jean Collet, la descente était plutôt tranquille, enfin j’étais toujours plus ou moins frais et donc c’est l’impression que j’avais sur le moment. Nous étions au kilomètre 40 environ et le soleil était fort. D’ici nous sommes allés vers un col qui se nomme “la mine de fer” et qui culmine à 2400 mètres d’altitude. Le paysage y est chaotique et la présence de cailloux partout sur le sentier rendait l’expérience plus intense. Après quelques kilomètres en altitude nous arrivons à Harbert d’Aiguebelle, un refuge qui se trouve juste avant la dernière difficulté de la journée, les cols d’Aigueleton et de la Vache. La montée au premier est sublime ; juste après le refuge il y a un lac d’altitude où quelques vaches étaient là entrain de ruminer et quelques campeurs se rafraichissaient dans le lac après avoir posé leur tente. S’en ai suivi alors une longue descente dans la vallée afin de traverser une rivière. J’ai rempli mes gourdes dans la rivière et je suis allé par la suite à l’assault de ce col tant redouté par la majeur partie des participants.

Sur le chemin du col de la Freydane.
Sur le chemin du col de la Freydane.

Autour du col de la Freydane.
Autour du col de la Freydane.

Arrivée sur le refuge Jean Collet.
Arrivée sur le refuge Jean Collet.

Sur le chemin de ce col j’ai croisé un monsieur qui n’avait pas l’air d’aller, je lui demande donc ce qui ne va pas et il me répond qu’il était en plein dilemme, va-t-il se faire vomir ou pas ? En général cette question se pose quand il fait très chaud, que l’on se déshydrate rapidement sans prendre des aliments salés (fromage, sel, etc.) et le tout couronné avec un épisode rapide où sont ingurgités beaucoup d’aliments ; ceci est en effet le combo déclencheur des nausées. J’ai souhaité un bon courage au monsieur et me suis dirigé vers le col. La montée est plutôt raide et se fait sur de gros pierriers, il faut souvent mettre les mains, mais ça reste très accessible et bien balisé.

Des vaches, des campeurs et un lac d’altitude. Rumination, fraicheur et des cailloux.
Des vaches, des campeurs et un lac d'altitude. Rumination, fraicheur et des cailloux.

Descente du col de l’aigueleton.
Descente du col de l'aigueleton.

Arrivé au col, la descente commence dans un chemin très raide et ensuite s’adoucit sur une partie plate qui longe des lacs d’altitude. Au delà du dernier lac, on aperçoit la vallée de l’Allevard et surtout la base de vie du Pleynet qui marque presque la moitié du parcours. Après le dernier lac, la descente se fait dans un chemin où le rocher calcaire cassant est présent partout. C’était insupportable, neuf kilomètres de descente raide sur des cailloux glissants et cassants. J’ai marqué plusieurs pauses ici et la fatigue commençait à s’installer. Le soleil commençait à se coucher et avec, ma motivation descendait petit à petit. Je me suis fais doubler plusieurs fois dans cette descente et l’énergie que j’avais dans les jambes a disparu et avec mes foulées se sont raccourcis jusqu’à marcher. La dernière section avant le Pleynet est ponctué par plusieurs passages vallonnés et des faux plats avant d’accéder à la route qui descend sur une pente douce jusqu’à la station de ski.

Descente du col de la vache.
Descente du col de la vache.

Sunset sur la vallée du haut.
Sunset sur la vallée du haut.

En arrivant je me suis rendu compte à quel point j’étais lessivé. La nuit était tombé depuis au moins trente minutes, la base de vie était plutôt vide, quelques accompagnateurs étaient dissipés sur la place en train de nous applaudir et nous encourager à continuer. Les quelques coureurs que j’ai croisé avait l’air d’avoir abandonné la course. Quand j’ai demandé les stats sur les abandons, on m’avait dis qu’une centaine a déjà abandonné ici. J’ai passé un coup de fil et le fait de parler au téléphone m’a fait beaucoup de bien. Le bus qui allait rapatrier les abandons était là et moi je commençais à avoir froid. J’ai donc mis des vêtements chauds et me suis dirigé vers le restaurant, ils nous ont préparé des pates bolonaises, encore. Je n’avais plus faim après quelques bouchées. J’ai englouti quelques compotes de fruits et ensuite direction les WC sèches. Après ce passage aux WC, je commençais à me sentir plutôt en forme et pour rester le plus éveillé possible cette nuit, j’ai pris une grande tasse de café. Cette pause aura duré une heure et trente minutes au total. On a du mal à quitter ce stop mais il faut y aller quand même, je n’étais même pas à la moitié du parcours, il restait plus de 80 km avant de rejoindre ma tente à Aiguebelle.

Dans la descente, je me suis fais rattraper par un certain Marco, un parisien aventurier qui s’est mis à l’ultra trail il y a quelques années. Il a déjà réalisé quelques aventures solos comme le tour de France à vélo en essayant d’être le plus proche possible des frontières. On a passé quelques heures de la nuit à papoter, marcher et courir doucement avant qu’il se décide à dormir sur le chemin dans la forêt. J’ai donc continué seul la montée pour arriver vers minuit passé dans une cabane qui ne figure pas sur la liste des ravitaillements. J’y ai pris un petit café et j’ai fais le plein des barres de céréales.

22 Aout 2020

Jour 2. En partant de la cabane, vers minuit, je regrettais un peu l’ambiance chaleureuse du lieu mais il fallait avancer et en finir avec le prochain col, celui du Morétan. La première étape avant de retrouver ce col est le passage au Gleyzin. De la cabane, le chemin descend doucement sur un terrain confortable jusqu’à un lac qui se nomme le lac du Léat. Deux bénévoles y étaient dans le noir pour relever les numéros de nos dossards et l’heure à laquelle nous sommes passés, ils avaient aménagé une petite table avec plein de bonbons et un seau d’eau rempli à la rivière, c’était bien sympa de leur part.

Par la suite, j’ai continué mon périple vers le petit village Gleyzin où je me suis laissé tenter par une petite sieste de 15 minutes, enfin je me suis allongé sur un pseudo-lit qui était juste à côté de la salle de ravitaillement, c’était bien bruyant. Les bénévoles nous demandent combien de temps nous voulons dormir, ils mettent en place une alarme et nous réveille en fonction de l’heure demandée. Suite à cette pause bien méritée, j’ai pris un bout de fromage avec une tranche de pain et je suis allé doucement encore sur le trail. J’aurais très peu couru cette nuit, je n’avais pas envie de presser le pas et puis je sentais que j’avais besoin de dormir un peu. Du Gleyzin on s’engage directement dans une montée bien raide vers le refuge de l’Oulle, il ne me reste pas beaucoup de souvenirs de cette partie hormis le sentiment de flottement dans l’air dû à la fatigue et les lampes torches dispersées dans la montagne qui allaient toutes vers cette lumière rouge qui clignotait et qui devait représenter le col. Arrivé au refuge, j’ai pris un thé chaud et j’ai demandé encore une fois à dormir, cette fois on m’a proposé de dormir au bord d’un feu que les bénévoles ont allumé. On m’a fourni une couverture bien chaude et on m’a installé sur l’herbe à côté du feu. Bercé par le son de la cascade d’eau derrière et le crépitement des petits morceaux de bois, je suis parti très vite dans un sommeil profond et très bon.

Lever du jour, le refuge de l’Oulle dans les nuages.
Lever du jour, le refuge de l'Oulle dans les nuages.

Sur le chemin du col Morétan et avant que les nuages nous envahissent.
Sur le chemin du col Morétan et avant que les nuages nous envahissent.

Je me suis réveillé à l’aube, je ne me rappelle plus combien de temps a duré ma sieste, je me rappelle qu’un bénévole est venu me réveiller et ma réponse fut : “oui, oui, je me réveille” ; mais en réalité je me suis bien calé dans la couverture et me suis rendormi un peu plus. J’aurais fait une sieste de 30 minutes au total je crois, enfin je ne me rappelle pas. Après ce sommeil bien réparateur, je me sentais presque neuf, j’ai trainé un peu sur le ravitaillement et ensuite direction le col. Maintenant la montée est bien plus raide, le jour s’est déjà levé et après une centaine de mètres de dénivelé positif, on était déjà bien au dessus du refuge qui commençait à baigner dans un nuage de brouillard. La montée quand à elle, commence dans un sentier étroit et glissant et se finit dans un pierrier ; rien de bien compliqué en réalité mais avec une nuit presque blanche et une journée à crapahuter en montagne, ça ne se passait pas très bien. Et pour rendre les choses un peu plus intéressantes, le brouillard qui était un peu plus bas s’est levé et on était en plein dedans. J’étais avec trois autres participants et nous étions un peu paumés dans ce nuage. Après avoir perdu notre chemin à deux reprises et après quelques lacets raides, nous entendons des encouragements d’un peu plus haut, on monte encore un peu et nous voilà au col, Le Morétan !

Un peu déçu par la vue, il pleuvait légèrement et on était complètement submergé par les nuages. De l’autre côté du col il y avait un passage qui n’était pas à mon gout, un long névé en pente descendante et équipé de cordes fixes. Le problème du névé le matin est qu’il est verglacé et donc plus glissant. Sur cette descente que j’ai entamé très doucement, je me suis cassé la gueule à plusieurs reprises et là, le premier de la deuxième course de l’événement venait de passer. Il avalait cette descente de névé comme une fusée en criant “Allezzzzzzzz !!!” ; j’ai trouvé ça impressionnant. La descente fut longue pour moi, j’avais un peu mal aux cuisses et je ne voulais pas forcer afin de finir, je me disais qu’il restait un bon bout à finir et si je me crame les cuisses ici, ça sera fini pour moi à la prochaine base de vie.

Sur la fin de la descente raide et avant de rejoindre le ravitaillement sous tente, une femme sponsorisé Solomon est passée très vite en poursuivant deux autres athlètes élites masculin. Ils avançaient à une allure impressionnante et on voyait que leurs quadriceps étaient bien chargés et l’effort intense de la descente faisait sortir presque toutes leurs veines dans les cuisses. Ca m’a donné envie. Ici j’ai rencontré deux hommes qui étaient dans le dur, l’un deux a passé une mauvaise nuit à cause d’une intoxication parait-t-il. L’autre était lessivé et blasé, il avait perdu la motivation, un peu comme moi. On va l’appeler S, parce que je l’ai croisé plusieurs fois par la suite. Le terrain devenait plus plat avant de rejoindre le ravitaillement, j’ai donc commencé à courir en suivant les pas de ces athlètes qui couraient le 85 km. Au ravitaillement je me sentais mieux, l’envie était revenu et je voulais courir dans ce paysage d’après pluie, où l’herbe est verte, où les nuages côtoient les sommets et décorent parfaitement ce ciel presque bleu.

Les athlètes Solomon descendants le col Morétan.
Les athlètes Solomon descendants le col Morétan.

A partir de ce moment, j’ai eu un retour de motivation exceptionnel, je ne sais pas par quel miracle. Je me suis mis à courir, de plus en plus vite, c’était orgasmique, je me sentais puissant, frais, mes pas épousaient la terre et les cailloux parfaitement, la douleur avait disparu et j’arrivais à suivre un jeune coureur du 85 km. La descente du ravitaillement Périoule se fait dans un passage forestier avec des cailloux de rivières plus ou moins grand et fini dans une foret avec des pistes forestières plutôt larges et confortables pour les pieds. S’en suit alors une montée bien raide que j’ai avalé très vite dans un sentier forestier, 600 m de D+ que je n’ai pas vu passer. J’avais mes mains sur les cuisses et poussais avec les bras et les fessiers comme jamais. Les yeux rivés sur le sol, je respirais de manière rythmique, je ne pensais qu’au moment présent, au lacet qui vient et rien d’autre. Je devenais euphorique, la chaleur montait en moi, le temps passait vite et j’étais déjà au bout de la montée, commence alors une descente douce sur une piste carrossable vers une station de ski qui se nomme Super-Collet. Je me sentais bien et frais en arrivant à cette base de vie, j’étais fier de moi. Ce grand ravitaillement est à environ 45 km de l’arrivée, un marathon de montagne à finir et je retrouverais la chaleur de mon sac de couchage et ma tente. Cette pensée me réjouissais.

Ici j’ai mangé un peu, rempli mes gourdes et ensuite direction le trail, une autre montée bien raide sur une piste de ski… j’y ai croisé Marco qui a trainé comme moi cette nuit mais maintenant il était motivé pour aller plus vite et finir avant minuit. Pour ma part, la fatigue est encore une fois revenue, et cette fois je me sentais vraiment cuit, j’ai pris un peu de pate d’amande pour me remonter le taux de sucre, mais ça ne changeait rien, mes cuisses étaient lourdes et je sentais que mes pas vacillaient, l’équilibre n’était plus là et l’envie de dormir était encore une fois présente. Le petit arrêt de 15 minutes que j’ai marqué à Super-Collet a suffit à mettre mon corps et mon esprit en veille. Dégoûté d’avoir perdu mon deuxième souffle, je m’allonge alors sur l’herbe pour récupérer un peu. J’ai mis mon réveil pour ne pas dépasser les 20 minutes de sieste. Ca m’a fait du bien, je me suis réveillé la tête dans les nuages et j’ai eu du mal à y retourner. J’ai trainé un peu sur ce spot et ensuite j’ai repris mon chemin. J’ai fini la montée qui se fait sur cette piste de ski et ensuite commence une descente très agréable sur des mono-traces confortables.

À la fin de cette descente on quitte l’Isère et on bascule en Savoie, on a traversé une rivière où j’ai re-rempli mes gourdes avant d’attaquer 800 m de D+ pour rejoindre le dernier col de cette aventure. Pour y aller, nous sommes passés par un refuge très beau et perché sur un sentier étroit qui domine une vallée profonde et impressionnante. Ce refuge s’appelle les Férices, il était fermé mais trois bénévoles étaient là pour nous ravitailler en eau et comme ils sont très gentils dans la région, ils nous ont préparé des parts de brioche avec des carrés de chocolat. J’en ai pris deux avant de continuer cette montée. Les nuages descendaient de plus en plus et avec eux, le froid s’installait, il fallait pousser plus fort pour ne pas ressentir ce froid. Ce chemin est une mono-trace magnifique mais vu la fatigue et le temps maussade du moment, je ne l’ai pas apprécié comme la première fois en 2017, dommage. Arrivé au col d’Arpingon, le vent était beaucoup plus fort, j’ai donc mis mon imperméable coupe-vent et j’ai commencé à descendre. Le chemin de descente était plutôt dur au départ, mes jambes étaient dans un état lamentables après cette montée, et le froid n’arrangeait pas les choses. Quelques centaines de mètres de D- plus bas, la température était plus clémente et je pouvais à nouveau re courir, ici j’ai croisé monsieur S qui avait repris une bonne dose de motivation, il galopait bien et était déterminé à en finir le plus rapidement possible avec ce tracé. Nous avons couru ensemble jusqu’à Val Pelouse, une autre station de ski qui constitue un grand ravitaillement pour les coureurs. Cette fois-ci j’arrivais à courir mais les sensations étaient différentes, il n’y avait pas ce sentiment euphorique d’un second souffle malheureusement, au niveau physique je forçais un peu et ma foulée s’allongeait et ma cadence augmentait, mais mentalement j’étais à bout.

Col d’Arpingnon. Dans les nuages.
Col d'Arpingnon. Dans les nuages.

Dans le brouillard sur la descente du col.
Dans le brouillard sur la descente du col.

Arrivé à Val Pelouse, j’ai pris une soupe, du pain et quelques tranches de fromage. Je me suis assis pour manger et ce n’était pas une bonne idée, j’ai eu beaucoup de mal à me relever. Manger aussi n’était pas forcément une bonne idée, mon corps s’est refroidi et je commençais à être en hypothermie. Je grelottais un peu, j’ai donc mis mon imperméable et me suis forcé à reprendre le trail. Le soleil allait se coucher et j’étais transi de froid, je me sentais mal et l’idée de revenir à Val Pelouse pour abandonner était de plus en plus présente dans mon esprit. Le doute était fort et la tombée de la deuxième nuit n’était pas réjouissante ; deuxième nuit dehors dans mon état surtout, je savais que ça allait être désagréable. Dans ces moments de doute, j’essaie toujours de me concentrer sur ma respiration et d’aller de l’avant, je réduis mon rythme et je continue à avancer doucement en me répétant toujours que l’arrivée est proche jusqu’à ce que le point où je devais abandonner soit relativement loin et là je me dis, c’est trop tard maintenant, il faut aller au prochain check-point.

Deuxième sunset, juste avant le grand chat.
Deuxième sunset, juste avant le grand chat.

La deuxième nuit commença sur les crêtes, après avoir traversé le sommet du Grand-Chat au couché du soleil. Je n’avais pas la forme mais le paysage était sublime, le ciel était enflammé par les derniers rayons de soleil rouge / orange. Après ce petit sommet, il y avait beaucoup de vent et la traversée de la crête était interminable, j’avais froid, mal aux jambes, peu de moral et j’avançais sans trop savoir pourquoi. C’était comme une fatalité, il fallait suivre ce chemin jusqu’à la fin. A la fin de cette crête, commençait une descente longue mais très confortable sur des chemins forestiers jusqu’au village du Pontet. J’y étais à minuit et en arrivant là-bas j’avais l’impression que mon corps flottait dans les airs, que si quelqu’un me touchait, j’allais me décomposer en petites molécules et me dissoudre dans les airs.

23 Aout 2020

Jour 3. Au Pontet, j’ai décidé de dormir 30 minutes. Ils ont dans ce refuge une Yourte qu’ils mettent à la disposition des coureurs le temps d’une sieste. J’ai demandé à une bénévole de me réveiller à 1 am, mais je n’ai pas pu me lever, je lui ai demandé un peu plus de temps et après c’était un black-out total jusqu’à 3 am. En regardant ma montre, j’ai eu un coup de stresse et je me suis levé rapidement. En sortant de la yourte, je ressentais plus le froid, je suis allé manger un peu et trainer autour du feu pour me réchauffer doucement. J’ai quitté le Pontet vers 3:45 am pour cette dernière section de 13 km avant de retrouver une bonne douche, un repas chaud, ma tente et mon couchage. J’avais hate !

Cette dernière partie se passe principalement en forêt sur des pistes forestières ou des mono-traces agréables pour les pieds. Vers la fin, on bascule sur plusieurs parties bitumées avant de retrouver Aiguebelle et la cloche de la ligne d’arrivée. Après mon sommeil profond au Pontet, j’ai pu faire cette dernière partie de manière confortable, sur le plan physique et mental. Je suis arrivé à l’aube sur Aiguebelle, aux alentours de 6 am. J’étais content et fier de moi. L’entrainement cette année n’était pas comme je voulais mais j’ai pu quand même faire deux semaines à 100 km et 4000-5000 de D+ suivies d’une semaine de récupération avant cette course. Je n’ai pas vraiment arrêté de courir cette année et donc cette petite préparation sur trois semaines était suffisante pour moi.

À l’arrivée j’ai pris un repas chaud, une douche froide et ensuite direction la tente pour un sommeil exquis. J’ai pris la route juste après ; très mauvaise idée parce que 30 minutes après j’étais allongé sur une pelouse sous un arbre dans un village perdu. Le vent soufflait, des gosses jouaient à côté et dans ma tête j’étais dans un sommeil profond en train de revivre et re-visualiser les paysages et les moments époustouflants des deux jours précédents. J’espère pouvoir revenir une autre fois sur les sentiers de l’échappée belle.

L’affiche de la prochaine édition.
L'affiche de la prochaine édition.

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